Fansub : Comment les chaînes de TV ont indirectement favorisé leur essor
La presse s’en donne a cœur joie pour rappeler, sous la pression des lobbys, que le piratage c’est pas bien et que les majors audio-visuelles vont toutes mourir dans d’atroces souffrances à cause des vilains pirates (même si au vu des chiffres record des entrées en salle pour 2009, c’est difficile à avaler).
Au milieu des cris de désespoirs des majors, on oublie peut être une autre victime du piratage : Les chaînes de TV qui voient une partie de leur audimat fondre à cause du piratage. Loin de moi l’idée de pleurer sur leur sort, mais comme j’ai toujours appris que pour résoudre un problème, il fallait chercher les causes plutôt que de s’en prendre aux conséquences, j’aimerai donc essayer de trouver les vraies raisons qui ont permis au fansub et au piratage de séries TV animées de se développer si vite (à part l’arrivée du haut débit).
En France, le piratage des séries TV ne pourrait pas exister sans le travail des fansubber. Ces groupes de fans traduisent et sous-titrent (parfois en une nuit) les épisodes de leur série préférée puis les diffusent dans le monde entier via le web dans la plus totale illégalité.
Il est pertinent de se demander quel terreau a pu être assez fertile pour pousser des gens à passer autant de temps à une activité qui ne leur rapporte rien ? Après tout il y a déjà un grand choix de séries en version sous-titrée en DVD.
Que recherche le spectateur-téléchargeur ?
On peut supposer que le piratage a l’avantage de la rapidité de disponibilité (moins d’une semaine après la diffusion) et de la gratuité. Il est évident qu’un certain nombre de séries TV ne peuvent pas être achetées en vidéo au vu du nombre d’épisodes. En effet, quand on regarde des séries très populaires comme Bleach, Naruto, Dragon Ball ou One Piece, qui font entre 250 et 500 épisodes, on se doute bien que peu de personnes vont avoir les moyens (ou la bêtise) de mettre autant d’argent dans l’achat de la série complète en DVD. C’est d’autant plus compréhensible que dans ces séries, il y a pas mal de filler, c’est à dire des épisodes « bouche trou » qui ne servent qu’à ralentir la progression de l’histoire pour coller au rythme de parution hebdomadaire du manga original.
Donc pour ces séries à rallonges, il ne reste au spectateur honnête et fauché qu’un seul moyen : la télévision. Après tout, le petit écran a permis d’initier plusieurs générations de jeunes aux animés japonais sans qu’ils aient à débourser quoi que ce soit. La télévision hertzienne était donc la seule arme capable de lutter contre le piratage à arme égale: la gratuité pour le spectateur !
Vous pourrez me rétorquer que la télévision impose des horaires et que c’est pas pratique etc…, mais vu le taux d’équipements des foyers en magnétoscopes et enregistreurs numériques, cet argument ne tient pas.
Décalage entre les chaînes et le public
En réalité, le problème de la télé, ce n’est pas qu’elle impose des horaires ou de la pub, c’est qu’elle impose une play-liste de programmes qui ne correspond pas forcément à la demande réelle. Le meilleur exemple est probablement ce qui s’est passé lors de l’arrêt de l’émission « Club Dorothée« . Cette émission pour enfants était diffusée dans les années 1990 et devait son succès en grande partie grâce aux animés japonais. Lorsque pour des raisons politiques TF1 a rompu son contrat avec AB (parce que AB a lancé sa propre chaîne), il n’y plus eu un seul animé japonais sur aucune chaîne. Dorothée ayant diffusé des animés pour adolescents dans la case horaire enfants, les animés japonais étaient catalogués comme violent ou malsains par les gens « bien pensant » (journalistes, responsables de programmation des chaînes, psy, etc..). La demande et le goût pour les animés nippons étaient pourtant toujours là, mais l’offre n’existait plus. Il restait bien sûr le circuit vidéo, mais l’offre était encore pauvre et le portefeuille des jeunes spectateurs n’est pas extensible à l’infini.
Le public a appris à se débrouiller seul
Il a fallu attendre 10 ans et le succès phénoménal de Pokemon pour que la fronde anti-nippone disparaisse enfin de la tête des responsables de programmation. Mais le mal était fait. Le vide laissé par le PAF a été comblé. Les spectateurs ont mûrît, ils ont découverts d’autres circuits qui leurs ont permis de réaliser la pauvreté du choix que leurs proposent les chaînes hertziennes. Le public a surtout réalisé qu’il n’avait plus besoin d’être dépendant de chaînes françaises qui les méprisent autant qu’elles méprisent les produits qu’elles diffusent. Le spectateur a compris qu’il n’avait plus à subir les changements intempestifs des horaires de diffusion des dessins animés (spécialité de Club Dorothée), les séries arrêtées en cours de diffusion avant la fin (valable pour toutes les chaînes), les doublages miteux qui ne respectent pas les dialogues originaux ou encore les censures permanentes qui sévissent encore aujourd’hui (les français sont apparemment plus limités que les japonais puisqu’il faut qu’on les protège en enlevant les scènes trop dures pour leur esprit pur et innocent…)
A force de mépriser les attentes réelles de leur public, les chaînes ont dégoûté plusieurs générations. Si les chaînes françaises pouvaient se permettre ce type de comportements péremptoires, c’était uniquement parce qu’elles avaient le monopole de la diffusion, mais avec l’arrivée du piratage, elles auraient dû comprendre que continuer sur cette lancée les conduirait dans le mur.
Confiance du public à reconquérir
Car en dehors du problème de traduction ou de censure, la plus grosse faiblesse des chaînes est leur fâcheuse habitude d’interrompre une série en cour de diffusion parce que l’audimat est insuffisant. C’est peut-être un calcul judicieux à court terme mais c’est suicidaire à long terme. A force d’être énervé de ne pas connaître la fin d’une série, le spectateur a fini par chercher un moyen de substitution. Hors, dès que le spectateur a compris qu’internet pouvait être un bon palliatif, il n’est pas près de revenir car il n’a plus confiance dans les chaînes.
Il est inutile de se leurrer, les jeunes ne sont pas les seuls à faire cela. Les jeunes générations aident aussi leurs aînés à obtenir ce qu’ils cherchent. Soit en les formant, soit en leurs fournissant directement des fichiers sur clé USB. J’ai même vu des personnes du troisième âge réfractaires à l’informatique s’y mettre enfin, juste à cause de ça.
Certains me diront alors qu’une série sous-titrée piratée sur Internet ne vaut pas une série doublée que l’on voit sur un écran de télé confortablement installé dans son salon. On peut aussi ajouter qu’un sous titrage fait par des fans en moins d’une semaine ne doit pas être de bonne qualité face à une traduction faite par des professionnels.
Je mentirai en disant qu’il n’y a pas de fautes d’orthographe dans certains fansubs (surtout les Fast-Sub), mais il faut savoir que même si il s’agit d’un travail d’amateur, leur traduction et la qualité de l’intégration des sous-titres dépassent parfois les traductions dites professionnelles. L’une des raisons, c’est qu’ils sont fans, donc ils font rarement des erreurs sur l’univers dont ils parlent. Par ailleurs, contrairement aux professionnels, ils ne comptent pas leurs heures, ils n’hésitent donc pas à prendre leur temps pour peaufiner leur travail (Proper-Sub).
Pourquoi le fansub séduit ?
L’autre raison du succès des fansubbers est l’intégration d’explications pour aider le spectateur à comprendre quelque chose qui ne fait pas partie de sa culture. Cette approche est particulièrement vraie pour les animés japonais et permet de mieux comprendre l’animé à travers une meilleure appréhension de la culture nippone.
Reste la problématique du doublage. Quelque chose de doublé semble plus naturel à regarder car l’œil peut se focaliser sur les images. Très honnêtement, j’ai longtemps eu l’impression qu’il fallait choisir entre lire les textes et regarder les images. Mais notre œil prend rapidement l’habitude de cet exercice et sans même qu’on le réalise, on arrive à lire tout en se focalisant sur les images. Passé ce cap, les sous titres ne sont plus un frein par rapport au doublage. On a même l’impression de mieux cerner la série car le texte n’est pas adapté, mais simplement traduit, il garde donc la saveur de l’original.
Aujourd’hui, les chaînes de TV voient une désaffection de leur audience au profit d’internet. Sans s’en rendre vraiment compte, les chaînes payent le prix pour avoir méprisé les attentes réelles de leur public trop longtemps. A présent les chaînes essaient de redresser la barre en cherchant enfin à répondre à la demande plutôt qu’à chercher à imposer une offre qui ne correspond pas.
Ainsi, certaines séries populaires sont proposées en VOD sur le site de TF1 le lendemain de la diffusion aux Etats-Unis et les traductions gagnent en fidélité. Mais ces soubresauts seront-ils suffisant sans un changement radical de la mentalité des dirigeants de chaînes ? Les habitudes de consommations ont beaucoup changées, il est pertinent de se demander, si il n’est pas un peu tard pour se réveiller.
Viz : l’art de ne pas lutter à contre-courant
Certains éditeurs de vidéos ont compris que ce changement d’habitude de consommation n’était pas forcément un mal. Plutôt que de lutter à contre-courant, l’éditeur Viz, qui détient les droits de diffusion de Naruto pour les Etats-Unis, a laissé la Team Dattebayo continuer à sous-titrer et diffuser illégalement des épisodes de Naruto pendant 7 ans. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il ne fallait pas être très malin pour comprendre que le succès mondial de Naruto est en grande partie dû aux fans subber. En effet, comment expliquer que dans des festivals tel que Japan-Expo on voyait de nombreux cosplay de Naruto et des magasins écouler des milliers de goodies Naruto alors que cette série était officiellement diffusée nulle part en français. Il suffisait de discuter un peu avec les cosplayeurs et les clients des stands pour comprendre qu’ils ne parlent pas japonais et que c’est à travers le fansub qu’ils ont connu la série.
Viz a compris cela et c’est pour cette raison qu’il a laissé faire les teams de fansubs de Naruto, puis au bout de 7 ans, ils se sont enfin décidés à faire une offre qui correspond à la demande. Ils ont alors commencé à sous-titrer et diffuser gratuitement les épisodes de Naruto en les proposant à visionner en streaming dès le lendemain de la diffusion au Japon.
En voyant cela, la Team Dattebayo US a décidé spontanément d’arrêter de sous-titrer Naruto pour éviter de parasiter le service de Viz qu’ils estiment aussi abouti que leur travail. Le respect qu’a eu Dattebayo pour Viz vient aussi du fait que cette société ne les a jamais menacé de procès. Viz avait probablement conscience que ses clients sont les mêmes que ceux qui téléchargent et qu’attaquer Dattebayo aurait braqué leurs clients contre eux sans pour autant résoudre le problème car d’autres teams auraient probablement pris le relais en moins d’une semaine.
La solution ?
Finalement Viz a réussi à obtenir l’arrêt de la diffusion pirate de la première Team de fansubs de Naruto et cela sans le moindre procès ni la moindre menace. Simplement parce qu’ils se sont décidés à offrir une offre correspondant à la demande.
En France Dybex s’est lancé dans une démarche similaire en proposant sur le web la diffusion gratuite des épisodes de la nouvelle série de Fullmetal Alchemist. Espérons que cette expérience apporte des résultats satisfaisants à l’éditeur qui ouvriront une nouvelle approche pour une diffusion légale plus respectueuse des produits et des attentes des spectateurs.
Pour aller plus loin :
Interview de Timetowin, un fan suber de Dattebayo (fr)
Interview de David Nachtergaële un traducteur professionnel d’animés