Interview d’oTTami (Dofus Monster – Dofus Arena)

OTTami (Matthieu Marcq) est un auteur de BD français, né le 21 février 1980 à Seclin près de Lille. Il est l’un des auteurs d’Ankama pour qui il a notamment dessiné l’excellent tome 5 de Dofus Monster. Suite à cela, il a aussi participé à la réalisation du tome 3 de Dofus Arena en assumant presque la moitié des pages.

Son aide a été sollicitée pour épauler Jérôme Bretzner, l’auteur original de la série car ce dernier manquait de temps pour continuer ce projet, suite à quoi, Ankama a confié la réalisation de la suite des aventures de Pym à oTTami qui a assuré seul les dessins du tome 4. Il est donc temps pour nous d’en découvrir un peu plus sur cet auteur maintenant que ce tome est enfin disponible.

Comment en es tu arrivé à faire de la BD ?

L’envie de faire de la BD m’est venue vers 11 ou 12 ans grâce à une boîte de crayons de couleurs avec des chiens humanoïdes dessinées dessus. J’aimais déjà dessiner depuis ma plus tendre enfance, mais en voyant ces chiens, j’ai eu l’envie de faire des BD en réutilisant ces personnages. C’est à ce moment là que j’ai pris conscience que je voulais devenir dessinateur de BD.

Je me suis alors dirigé vers un Bac Arts Appliqués au Lycée St Vincent de Paul à Loos mais en réalité, j’ai dû finir ma dernière année de cursus au Lycée St Denis à St Omer car j’ai eu des petits soucis de parcours.

Quel genre de soucis ?

Je venais de vivre rupture amoureuse qui m’inspirait quelques poèmes que j’ai eu la mauvaise idée d’écrire pendant mes cours de math. ( rires) Bien entendu, la prof a moyennement apprécié cela, alors à la fin du cours, elle m’a demandé de lui remettre la page que je venais de faire. J’ai refusé et lorsqu’elle a voulu me prendre ma feuille, je l’ai légèrement repoussée. Ce n’était pas brutal ni méchant, mais ça m’a quand même valu un conseil de discipline.

Ils m’ont dit : « Écoute Matthieu, si tu réussis ton bac d’Histoire, Géographie et Français, on te garde. »
Donc je l’ai réussi avec 14, 16 et 10/20, mais ils m’ont viré quand même… (rires)

Au fond, ça m’a plutôt rendu service de me faire expulser car mon nouveau lycée, St Denis, était beaucoup moins rigide et surtout moins académique au niveau du dessin. Du coup, j’ai vraiment pu me libérer car tout était accepté du moment que la qualité était présente et que la démarche était cohérente.

Avec ce bac en poche, j’ai enfin pu intégrer la section BD de l’Académie des Beaux-Arts de Tournai (Belgique).

Combien de temps es-tu resté là-bas ?

Trois ans, mais là aussi je ne suis pas allé jusqu’au bout.
J’ai redoublé ma première année, puis j’ai arrêté à la seconde année. Mon problème, c’est que je n’allais qu’aux cours de BD, les autres matières ne m’intéressaient que très peu et je préférais surtout me consacrer à mes planches… Malheureusement, en Belgique, pour avoir ton année, tu dois avoir 60 % dans toutes les matières. Tu ne peux pas équilibrer tes différentes notes.
Mais je ne regrette pas d’être parti, avoir son diplôme ou pas ne change pas grand-chose en BD, ce qui compte en réalité c’est ton chemin personnel et la qualité de tes planches. Contrairement à certaines professions, on n’embauche pas un dessinateur de BD sur son diplôme.

Les trois années passées dans cette école m’ont permis d’élargir ma perception du monde de la BD et l’approche des différents styles graphiques, j’ai appris beaucoup et même si je n’étais pas fait pour « le moule scolaire », j’ai pu en retirer des enseignements utiles et précieux.

A partir de là, tu as commencé à chercher du travail ?

Oui, j’ai commencé par envoyer un dossier chez Soleil et Delcourt, ils m’ont répondu rapidement mais négativement, (c’était déjà beaucoup pour moi d’avoir une réponse). Du coup, en attendant, j’ai pris un travail annexe qui consistait à garder un enfant après ses cours et l’aider pour ses devoirs. Ce job me laissait pas mal de temps libre en journée ce qui m’a permis pendant un an d’avancer mes projets BD.

Pour m’aider à me lancer, mon père a organisé sur son lieu de travail une expo avec mes travaux. Il est éducateur et son lieu de travail n’avait rien à voir avec la BD, pourtant la chance a voulu qu’un membre de la famille d’un éditeur Suisse (les éditions Paquet que je citerais qu’une seule fois…Vous comprendrez pourquoi après…) passe justement par là et me laisse ses coordonnées en vu d’un projet avec un scénariste.
Au bout d’un mois, n’ayant pas de nouvelle, je commençais à penser que c’était une fausse piste. Mais un jour, Régis Hautière, un scénariste qui travaillait à l’époque pour cette boîte, m’a contacté par téléphone pour me proposer de réaliser une BD avec lui.
Le rêve et le but de mon enfance étaient à porter de crayons ! ^^

Avec lui, j’ai eu l’opportunité de publier Abaddôn dub ma première BD en 2006. C’était une BD de SF que j’ai signé sous le pseudo TTam2Mo. Avec le recul, je me rends compte que j’ai eu beaucoup de chance car il m’a fallu moins de deux ans pour trouver un contrat avec un éditeur. Quand tu es jeune, tu es un peu naïf, tu crois que tout va t’arriver tout cuit, mais on réalise vite que c’est un milieu difficile où les contacts sont capitaux. Heureusement, ça s’est relativement bien passé pour moi…. Enfin presque…

Tu peux développer ?

En fait, la collaboration avec Régis Hautière s’est bien passée car nous sommes devenus amis. Suite à la parution du tome 1, nous avons tout de suite embrayé sur le tome 2. Les ventes du tome 1 n’avaient pas été extraordinaires, mais pour un tome 1 d’une série, c’était suffisant pour continuer.
Alors que le tome 2 était fini et prêt à être imprimé, l’éditeur a refusé de le publier prétextant qu’il était en conflit financier avec Régis. La conséquence directe, c’est que je n’ai pas non plus été payé ce qui m’a beaucoup abattu car au-delà du manque à gagner, je ne savais plus trop où aller.

Les mois s’écoulèrent et, alors que j’écumais les différents festivals BD, j’ai recroisé pas mal d’anciens camarades des Beaux-Arts dont Jonat, Ancestral Z, Bicargo, Crounchann, Mojojojo et Gregory Charlet qui travaillaient à Ankama. La boîte commençait à monter et mes potes m’ont mis en contact avec des gens d’Ankama Editions dont Gilles Aris qui avait dessiné le tome 2 de Dofus Monster.

Cette collection m’intéressait car je savais que chaque tome est un « One Shoot » dessiné par un auteur différent. J’ai donc demandé si il n’y avait pas possibilité de faire un tome pour cette collection. C’est ainsi que j’ai pu réaliser le tome 5 sur Nomekop. Comme ma collaboration avec Régis Hautière s’était bien passée je l’ai proposé comme scénariste et il a été accepté.

Cependant, même si c’est Régis qui a écrit le scénario, c’est moi qui ai tenu à choisir le personnage de Nomékop.

Pourquoi ce choix, avais-tu déjà joué au jeu en ligne Dofus ?

Non, pour le choix de ce personnage je me suis basé sur le Dofus Art book 1, mais avant cela, je suivais Dofus depuis un moment car le graphisme m’attirait énormément à cause de son côté RPG des années 90 (en mieux bien sûr). J’avais même acheté quelques arts book Dofus pour le plaisir des yeux. J’avoue que je n’étais pas totalement indifférent aux productions d’Ankama car beaucoup de mes amis travaillaient là-bas et c’est toujours intéressant de voir comment ils évoluent.

Ce qui me plaisait chez ce personnage c’était son côté imposant avec sa cape et sa grande épée qui contrastait avec son côté nonchalant de fumeur de Dzibi.
J’aimais aussi le fait qu’il soit accompagné par deux autres personnages, ça me rappelait les séries japonaises avec un trio d’amis aux caractères et aux physiques différents pour augmenter le contraste du groupe.

Avais tu réalisé que le nom du personnage vient de Pokemon écrit à l’envers ?

Et….Non ! ^^,
J’ai découvert ce jeu de mot bien après, c’est un lecteur qui me l’a fait remarquer lors d’une dédicace. Pour être honnête, je me demande si j’aurais choisi ce personnage si j’avais réalisé ça plus tôt. (rires)

Au niveau de la conception de ta BD comment cela se passe avec Régis, te donne t-ils des planches crayonnées ou des textes ?

Nous avons travaillé comme pour Abaddôn dub, Régis me donne des textes avec une composition globale des actions, c’est moi qui m’occupe de la composition des planches, des crayonnés jusqu’à l’encrage.

La seule différence, c’est qu’Ankama intervient dans le processus pour contrôler la cohérence de l’univers, mais leur présence est discrète, ils m’ont fait faire quelques petites retouches, mais globalement nous sommes très libre.

Que s’est il passé après la publication de ce tome ?

Ankama m’a proposé de participer au hors série Goultard Bazar avec Ancestral Z, Gilles Aris, Crounchann et Jonat, puis ils m’ont donné une carte Wakfu TCG à réaliser où j’ai dessiné Pym de Dofus Arena.

Après ça, j’ai rebondi sur Dofus Arena Tome 3 pour aider Jérôme Bretzner qui était complètement débordé, d’une part parce qu’il est devenu papa, d’autre part parce qu’il assure aussi certains décors de la série TV Wakfu (la BD c’est pas suffisant pour nourrir une famille).
A la base je devais juste encrer ses planches et les tramer. Mais au final, faute de temps, il m’a délégué la création d’une partie du story board et des planches.

Comme cette expérience s’est bien passée et que Jérôme croule toujours sous le travail, on m’a demandé de reprendre la suite de cette collection. Vu que l’environnement de travail chez Ankama est plutôt sympa, j’ai accepté avec plaisir.

Est-ce que tu travailles dans leurs locaux ?

Non, contrairement à Ancestral Z (voir son interview), je préfère rester en indépendant car je suis plutôt quelqu’un qui bosse la nuit et j’ai beaucoup de mal à me conformer à un horaire fixe. J’ai besoin d’avoir une certaine liberté dans la gestion de mon temps pour m’y mettre quand je sens les choses.

Pour la suite de l’aventure, voulais tu aussi scénariser ?

Comme Nicolas Devos, le scénariste original de Dofus Arena, avait quitté Ankama, j’ai proposé un scénario. C’était un peu plus orienté shonen à la One Piece, avec un scénario plus « complexe » et plus « lent » qui tranchait beaucoup trop avec les trois premiers tomes.
C’est donc Fako et Tom Gobart qui ont repris le flambeau.

Trouves-tu le temps pour des loisirs entre deux planches ?

J’aime lire des BD et je m’adonne à des jeux vidéo comme les vieux Warcraft de 1 à 3 ou Starcraft 2, j’aime aussi jouer sur Xbox, Wii ou PS3. Le jeu Okami fut même à l’origine de mon pseudo, car j’y jouais beaucoup au moment où je cherchais un nouveau nom pour signer mes BD de chez Ankama.

A ce moment là, je voulais abandonner mon précédent pseudo TTam2Mo pour tirer un trait sur le passé afin de laisser derrière moi l’expérience malheureuse que j’ai eu avec l’éditeur suisse.

Quels sont les auteurs de BD qui t’influencent ?

J’aime beaucoup Peter Pan de Régis Loisel, lorsque je regarde son art book je me prends toujours une grosse claque. Cet auteur m’a accompagné pendant toutes mes études aux Beaux-Arts. Dernièrement, j’ai accroché à Blacksad de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido.
Il y a aussi bien sûr toute la Team Japonaise : Eiichirō Oda, Masashi Kishimoto, Naoki Urasawa, Katsuhiro Ōtomo et tellement d’autres…

Quant à ma jeunesse, elle a été bercée par des classiques comme Tintin, Astérix ou encore les Chroniques de la Lune noire.
A l’adolescence, j’ai découvert les mangas incontournables comme Saint Seiya (Les Chevaliers de Zodiaque) ou Dragon Ball.

Puisque tu sembles être un fan d’Hergé, serais-tu prêt à faire comme lui et reprendre deux premiers tomes de Dofus Arena pour donner une cohérence graphique globale à la collection ?

Franchement, je dois avouer que l’idée m’a déjà traversé l’esprit. Si la série s’était développée sur plus que 4 tomes, je pense que j’aurai été tenté par ce genre de refonte.

Mais bon, l’idée ce n’était pas de remettre en question le travail de Jérôme, j’y ai juste pensée pour avoir une harmonie au sein de la collection. Cela dit, je ne sais pas si ça aurait valu le coup vu l’énergie que ça demande.
J’aimais surtout l’idée de faire un tome collector qui regrouperait l’ancienne et la nouvelle version en même temps.

Apparemment, tu as beaucoup apprécié le personnage de Nomekop, comme Dofus Arena permet le voyage dans le temps, as-tu envisagé de réutiliser Nomekop pour Dofus Arena ?

C’est vrai que j’aimais le côté Bad Guy de Nomekop et que j’ai songé à l’utiliser dans l’Arena comme un adversaire de gros calibre contre Pym. Mais finalement comme nous avons eu comme consigne de clôturer l’arc avec le tome 4, ce n’était plus envisageable de l’introduire.

La première fois que nous avons discuté de ce projet de reprise en 2011, tu évoquais le fait qu’il y aurait plusieurs tomes. Est-ce que la décision de clôturer la série avec le tome 4 est arrivée alors que tu avais déjà bien avancé ce tome ? Cette question me vient à l’esprit parce que l’on a l’impression que le déroulement de l’histoire s’accélère au fil des pages.

Et oui ! Nous avons appris ça alors que nous avions déjà fait 1/3 de l’album et que nous étions sur la scène de la prison de Nazcatraz. Nous avons donc dût changer nos plans. Fako et Tom ont dû s’arracher les cheveux pour rebondir intelligemment et réussir à boucler le tome et la série de la meilleure manière qui soit.
Nous ne voulions pas décevoir le lecteur ni bâcler la fin…

Vu le soin apporté à présenter les différents membres de l’équipe de Pym et leurs adversaires, on a le sentiment qu’à l’origine, vous aviez prévu qu’ils s’affrontent dans l’arène avant que le Directeur de l’école ne vienne révéler que Minuit est la mère de Pym. Est-ce le cas ?

C’est exact, il y aurait dût avoir  plus de combats dans l’arène. On aurait voulu développer un peu plus les membres des Blacklistés, leurs caractères, leur passé de gladiateurs avant leur enfermement à Nazcatraz, etc…

Vous avez posé un grand nombre de jalons à la fin du tome, notamment sur le devenir de Pym, son rôle d’élu et surtout les rapports ambigus qu’il a avec sa mère. Du coup, on a l’impression qu’il va forcément y avoir une suite. Si c’est le cas, l’avez vous déjà imaginée et sur quel support on connaîtra ce que devient Pym (nouvelle série de mangas, livre, jeu vidéo, animé) ?

En effet, cette fin ouverte permet à chacun de s’imaginer une suite ou non.
Plusieurs chemins sont exploitables. En ce qui concerne une suite éventuelle, il faudra que cette démarche s’accorde avec la ligne éditoriale de la boîte. L’avenir nous le dira…

Tu aimais Nomekop pour son côté « Bad Guy », avec Pym et sa nature de démon tu devais être servi. N’as tu pas envie de continuer ses aventures pour faire se rencontrer ces deux personnages ?

C’est vrai que ces deux personnages ont un destin qui se rapproche.
Ils sont tous deux innocents et purs au départ, avant que des d’évènements malheureux ne les entraînent vers une déchéance de leur âme et de leur être.
Je trouve très jouissif de s’imaginer cette descente aux enfers et les différents changements que subit leur personnalité. En fait, d’une certaine manière chacun de nous pourrait vivre ce qu’ils ressentent.

Comme pour Nomekop, à force d’avoir eu Pym à mes côtés pendant une bonne année, je m’y suis attaché et bien sûr je souhaiterais continuer un bout de chemin avec eux deux !

Pour tout vous dire, dans la suite du scénario que j’avais imaginé pour Arena, Pym aurait dû recruter Nomekop dans son équipe après un combat épique entre les deux !
Ça aurait était énorme ! Non ?!

C’est certain, dommage que ce combat mémorable n’ait pas vu le jour, Tom Gobart et Fako (les scénaristes) auraient probablement adhéré.
Justement, comment se déroule le travail avec deux scénaristes ? Est-ce que l’un des deux décide de la trame et ensuite ils se mettent ensemble pour étoffer l’histoire et faire les découpages, ou est-ce qu’ils se répartissent la trame en deux morceaux, le premier s’occupe du début et l’autre de la fin pour gagner du temps.

C’est vraiment un gros travail d’équipe et de communication. Tom et Fako se sont mis d’accord sur l’ensemble de la trame scénaristique, et le contenu des chapitres.
Ensuite chacun, s’est occupé de gérer certains passages, faisant relire à l’autre avant toute validation du découpage et l’envoi dans ma boîte mail.

Ça a était un plaisir de travailler avec eux, un véritable échange. Chacun de nous vibrait pour Pym et nous mettions un point d’honneur à terminer la série de la meilleure manière possible.

Compte tenu de vos contraintes de temps et de pages, on peut dire que vous avez réussi à offrir une belle conclusion à cette série. Bravo à vous et merci pour cette interview.

Pour ceux qui n’ont pas encore lu le tome, voici notre chronique sur le tome 4 de Dofus Arena.

Site officiel : www.ottami.com
Blog : http://mekafreaks.blogspot.fr/