Interview de Saïd Sassine (Manga Wakfu)
A l’occasion de Japan Expo 2012, nous avons pu rencontrer Saïd Sassine qui était présent pour promouvoir le lancement du premier tome du manga Wakfu qui reprend la suite directe de la saison 2 de la série animée du même nom.
Cet auteur n’en n’est pas à sa première expérience, avant de travailler avec Tot, il a réalisé d’autres BD dont Vacances Virtuelles ou encore Cassius qui lui a permis d’être repéré par Ankama.
Saïd a accepté de nous accorder un peu de temps pour revenir sur son parcours et ce qui l’a amené à s’immerger dans le Monde des Douze.
Comment en es tu arrivé à la BD ? As-tu suivi une formation particulière liée au dessin ?
Non pas du tout, mais études n’ont rien à voir avec le dessin, j’ai fait passé le BAFA, le BEATEP et le BESAP pour devenir éducateur de rue. Mon intérêt pour le dessin est en grande partie dû aux dessins animés que je regardais étant petit.
Quels sont ceux qui t’ont marqué ?
Les classiques de la génération Club Dorothée : Chevalier du Zodiaque, Hokuto no Ken (Ken le survivant) Sailor Moon, Goldorak.
J’aimais aussi quelques animes qui sont moins connu en France comme Devil Man ou Mazinger.
Comme j’habitais dans un petit village complètement paumé du Var, je n’avais pas grand-chose à faire. Alors je passais mon adolescence à regarder des animés et à dessiner.
Je mettais le magnétoscope sur pause puis je tentais de reproduire les dessins que je voyais à l’écran. J’adorais en particulier le trait de Shingo Araki (le character designer des Chevaliers du Zodiaque). J’aimai ce trait onduleux, ces corps élastiques, ces cheveux qui flottaient au vent et ces prises de vues qui trichaient avec la réalité. Comme cela me fascinait, j’essayais de les reproduire et j’ai fini par assimiler certains codes qui me sont restés encore aujourd’hui.
A quel moment as-tu eu le déclic qui t’a poussé à abandonner ta profession d’éducateur de rue pour te lancer dans le dessin ?
Il faut savoir que je n’ai jamais lâché le dessin même lorsque j’étais éducateur. Je continuai à dessiner pour mon propre plaisir, mais je n’ai jamais cherché à montrer mes travaux à des éditeurs.
Avec le temps, travailler dans les milieux difficiles en tant qu’éducateur s’avérait un peu trop éprouvant. J’avais l’impression de ne pas pouvoir construire quelque chose dans la durée. On te donne un groupe à gérer, tu t’investis dedans pour arriver à bâtir une relation et lorsque que ça commence à fonctionner, on te déplace, quelqu’un reprend ton groupe et on te place avec un autre groupe. Du coup tu as l’impression que tout est à refaire et qu’une grande partie de ton travail est perdue.
Cette situation a fini par m’agacer, alors j’ai décidé qu’il était temps pour moi de me lancer dans un métier qui me passionne d’avantage où je sais que je pourrai m’investir pleinement pour moi et non pour les autres comme je le faisais en tant qu’éducateur.
Je n’ai pas eu à regretter ce choix car j’ai réussi à convaincre de nombreux éditeurs comme Soleil, Bamboo ou Tournon pour qui j’ai fait Cassius. C’est justement cette BD qui a permis à Ankama de me repérer un an et demi après.
Comment s’est passée cette rencontre ?
Ils avaient apprécié le traitement du dessin dans Cassius et m’ont demandé de faire quelques essais pour voir ce que cela pourrait donner pour Wakfu. Les tests ayant été concluants, nous avons démarré le tome 1 du manga Wakfu avec Tot et Arza pour le scénario.
Tot m’envoie un scénario sous forme de texte, je propose un découpage de planche et lorsqu’il l’a validé, j’attaque la version définitive.
Avant d’être contacté par Ankama, avais tu vu la série Wakfu ?
Je connaissais de nom car beaucoup de mes élèves en atelier de dessins m’en avaient parlée. Ils m’incitaient à la voir en me disant « Tu vas voir, c’est génial, faut que tu vois ça ». Paradoxalement je me refusais catégoriquement à la voir partant du principe qu’une série française était forcément médiocre.
Lorsque j’ai été contacté par Ankama, on m’a donné de la documentation et les épisodes pour que je puisse les voir et m’immerger dans l’univers. En voyant cette série j’ai révisé mon jugement car j’ai été impressionné par la qualité graphique que ce soit au niveau du design, des décors ou encore de l’animation qui malgré le flash avait un côté traditionnel évident. Même le scénario m’a beaucoup plus, j’aime l’histoire et le côté funky de certains épisodes.
As-tu aussi tenté de jouer au MMO Wakfu pour t’imprégner de l’ambiance ?
Pas du tout. J’aime bien les jeux d’action comme Metroïd ou Call of Duty sur PS3, mais je bloque complètement sur les RPG. Comme je n’arrive pas à jouer à ce genre de choses, je n’ai pas tenté de me lancer dans le MMO Wakfu.
Le manga reprend la suite de la saison 2, comment as-tu senti la réaction des gens durant tes séances de dédicaces ?
Déjà on sent que les gens sont intrigués qu’il n’y ait pas de saison 3. Ils ne comprennent pas pourquoi. C’est vrai que c’est assez original qu’une série qui a commencé en dessin animé se prolonge en manga, d’habitude c’est plutôt l’inverse, on part d’un manga pour faire une série.
Mais au-delà de cela, je m’attendais surtout à des réactions concernant le changement de style car j’y ai mis beaucoup de moi-même. Je redoutais un peu que ma patte graphique qui n’est pas tout à fait identique au design de la série, rebute certains lecteurs. Finalement j’ai été soulagé de constater que je n’ai pas eu de retour négatif.
Ma plus grosse inquiétude, c’était d’arriver à retranscrire le côté mignon et coloré de la série dans des planches en noir et blanc. J’avais peur que le manga perde un peu de l’identité de la série, mais apparemment les lecteurs ont favorablement réagi sur ce manga.
C’est peut-être parce que l’on est tellement habitué à l’animé que l’on prolonge inconsciemment la série. Même si la BD est en noir en blanc on la lit en couleur.
Ca me rassure un peu de voir que l’absence de couleur n’est pas bloquante car c’était un des points les plus délicats à gérer. Dans le même ordre d’idées, je me demandais aussi si j’arriverai à retranscrire assez bien les attitudes des personnages pour que quand ils parlent, les lecteurs entendent les voix d’origines et ne sentent pas un décalage de caractère avec la version de l’animé. Apparemment là aussi le manga semble bien fonctionner.
Pour t’immerger dans l’univers, as-tu regardé la série plusieurs fois ?
Non, justement je voulais éviter ça. Je l’ai vu qu’une seule fois pour la digérer et la ressentir comme le font les spectateurs. Cependant, quand je sens que je m’égare sur certains aspects ou que je m’approprie trop les personnages, je n’hésite pas revoir certains épisodes spécifiques afin de me recadrer.
De toutes façons, j’ai derrière moi toute une équipe qui m’aide à contrôler la conformité de la BD avec l’univers de la série. On dispose d’une pile de documentation que ce soit pour les personnages, les props ou les décors. Cette méthode de travail change beaucoup par rapports aux précédentes BD sur lesquelles j’ai travaillées car on n’a beaucoup plus de contacts humains. C’est très plaisant de bosser en équipe car tu as plus facilement du recul et ça t’équilibre dans ton travail.
Quand je vois cette BD, je peux sentir qu’il y a eu plusieurs regards qui ont participé à sa conception et c’est ce qui la rend très différentes de mes précédentes productions.
Justement, avec toutes ces personnes qui sont là pour t’épauler, comment ce fait-il que l’on voit Cléophée apparaître dans les premières pages et disparaître sans explication dans la suite du manga ? (Voir notre chronique sur le tome 1)
(Rire) Je l’attendais un peu celle remarque là :)
Faut dire que tu m’as tendu la perche ;)
Pour répondre à ta question, en faite, c’est tout simple. Quand j’ai fait cette double page, la saison 2 était en cours. Cléophée venait d’apparaître, mais on ne savait encore comment elle allait évoluer et ce qu’elle allait devenir. Du coup je l’ai intégrée sur la double page qui présentait les invités de l’anniversaire, mais au vu de l’orientation qu’à pris le scénario du manga et de la série, il nous est apparu évident qu’elle ne pouvait pas être là, c’est pour cela qu’elle n’apparaît plus ensuite.
On aurait pu l’enlever pour la parution du manga, mais on a préféré la laisser quand même pour faire un clin d’œil au personnage.
As-tu déjà en tête le nombre de tomes qui sont prévus ?
On a prévu entre 5 et 6 tomes dont la parution s’étalera sur 3 ans, cependant, l’histoire se déroule sur un an pendant l’année 993. C’est le même principe que pour la série où chaque saison raconte une aventure qui se passe sur une année.
En clair, si l’histoire dure un an, cela veut dire que Evangelyne et Miranda vont accoucher pendant cette aventure.
Exactement, c’est l’avantage du manga, c’est qu’au niveau du scénario ont est plus libre que pour la série où les chaînes ont leur mot à dire sur l’histoire. Du coup Tot se sent plus à l’aise et surtout l’aventure peut avancer un peu plus vite car on n’est pas obligé de faire des épisodes qui n’ont rien à voir avec la trame principale.
Le rythme de parution étant très soutenu as-tu encore du temps pour tes hobby ?
Autrefois je faisais pas mal de sport, de la boxe ou de l’escalade, mais j’ai dû un peu laisser tomber. Cependant, même si j’ai planning serré, une après midi par mois je continue d’animer bénévolement des ateliers d’initiation au dessin pour des enfants dans les hôpitaux et les associations de quartier.
Les enfants que tu croises dans ces ateliers connaissent Wakfu ?
Normalement, il suffit que tu dessines pour qu’une certaine magie opère, mais c’est vrai que certains enfants connaissent Wakfu, du coup le faite que je dessine le manga est un plus qu’ils apprécient.
Cependant, je ne fais pas des cours qu’avec des enfants, il m’arrive aussi parfois de faire ateliers d’initiation au manga pour les personnes âgées.
Les personnes âgées connaissent rarement le manga. Comment cela se passe pour eux ?
C’était plutôt des gens habitués à faire de la peinture, ils sont donc un peu en décalage, ce qui entraîne des choses particulièrement surprenantes. C’est un peu torturé par rapport à ce que j’ai l’habitude de voir, mais c’est précisément ça qui est intéressant avec les ateliers. Que ce soit avec des adultes ou des enfants, tu enseignes quelque chose, mais en retour tu as un échange humain stimulant. Certaines personnes t’offrent un regard différent que tu peux parfois t’approprier pour faire évoluer ton propre style.
Merci beaucoup pour cette interview, nous sommes impatients de découvrir la suite de Wakfu.
Merci à Vous :)
Interview réalisée le 7 juillet 2012 lors de Japan Expo.
Rappelons que le tome 2 de Wakfu sort demain le 4 juillet 2013