Interview de Trass’Bill (Dofus Monster)
Trass’Bill est entré dans l’univers d’Ankama en réalisant le tome 9 de Dofus Monster sur Koulosse le craqueleur. Mais cet auteur n’a rien d’un débutant, il s’est déjà fait connaître sous ce pseudo en dessinant Catch Familly, une BD sur une famille de catcheurs et il a aussi réalisé de très nombreuses BD historiques en collaboration avec des archéologues et des historiens.
Il était donc intéressant de creuser un peu cet auteur au registre varié, ce que nous avons eu l’occasion de faire lors de Japan Expo 2013 où Trass’Bill nous a accordé un peu de son temps pour que nous puissions l’interviewer.
Quel parcourt t’a amené au monde de la BD ?
Quand j’avais 7 ou 8 ans, mon père a été convoqué par mon instit qui lui a dit “Voilà les dessins de votre fis et voilà les dessins de ses camarades de classe… Il y a peut-être quelque chose qui mériterait d’être creusé.”. Mon père avait dans son enfance eu un intérêt pour le dessin, mais il était dans un collège jésuite où ce genre de passions était très vite réprimées dans l’œuf.
Du coup, iI a fait en sorte que l’histoire ne se répète pas et a décidé de me prendre en main.
Comment t’a-t-il aidé ?
En m’incitant à pratiquer. Comme il n’était pas dessinateur, il se contentait de me donner des défis de plus en plus compliqués. Il voulait éviter que je pratique le dessin comme une simple distraction à prendre à la légère.
C’est comme ça que je me suis retrouvé vers 9 ou 10 ans à vendre des portraits sur les marchés. J’ai commencé par faire les chiens et les chats, puis comme je m’améliorais, je me suis risqué à dessiner les maîtres avec l’animal et pour finir je ne faisais plus que les humains.
Mes parents étant commerçants sur les marchés, c’était pour moi l’occasion de m’entrainer tout en gagnant un peu d’argent pour m’acheter mon matériel de dessin. Nos revenus étant modestes, il fallait savoir se débrouiller par soi-même pour s’équiper. Cela m’a appris une certaine autonomie.
Ensuite j’ai fait bac F12 puis un BTS image de communication pour bosser dans la pub, mais je me suis rapidement rendu compte que je n’avais pas trop la philosophie pour bosser dans là-dedans.
Pourquoi ? Les conditions de travail étaient trop dures ?
Non, le problème n’était pas à ce niveau là. La pub, c’est la créativité au service du cynisme social. On cherche à manipuler le passif culturel des gens pour les faire consommer.
Je ne me voyais pas m’impliquer dans une telle démarche. J’ai donc rapidement quitté ce milieu même si il m’arrive encore de bosser ponctuellement dans ce domaine. Une ou deux fois par an sur deux ou trois semaines, je fais des illustrations pour des publicités. Cela reste donc très occasionnel et surtout, la grande différence, c’est que je ne suis pas impliqué dans le processus de conception. Lorsque j’interviens, la campagne est déjà mise au point et je ne fais que réaliser les visuels.
Pour revenir à ton enfance, c’est plutôt rare d’avoir des parents qui t’encouragent dans une voie artistique, en général ça leur fait plutôt peur.
Oui, c’est un peu le problème de la génération d’après Mai 68…
Le problème ? Ce n’est pas un avantage plutôt ?
Oui et non. Disons que parfois la contrainte peut aider. Personnellement, plus on me donne de contraintes, plus ça me permet d’éprouver de la liberté. C’est le truc classique. Si on me lâche totalement la bride ou s’il n’y a pas de chose contre laquelle lutter, je ne sais plus où aller.
Cela dit, avec le recul, il faut avouer que d’avoir des parents qui m’ont encouragé m’a permis de gagner pas mal de temps et de ne pas errer à 17 ou 18 ans sans trop savoir si je peux éventuellement faire du dessin un métier.
Mon cas mis à part, le problème de la génération post Mai 68, c’est que trop souvent les parents ont encouragé les envies des carrières artistiques de leur progéniture. En apparence c’est une bonne chose parce qu’on s’imagine que ce fut beaucoup plus facile pour eux de s’épanouir et de s’en sortir, mais en réalité c’est complètement faux parce que ce domaine est déjà pas mal bouché. Contrairement à ce qu’on a tendance à nous faire croire, le dessin ne repose pas que sur la passion, ça repose essentiellement sur un travail constant et incessant.
Est-ce que c’est ce qui t’a incité à faire un diplôme pour avoir un « vrai boulot » dans une agence de pub ?
Il y a un peu de ça, mais avec l’expérience, je vois bien que le cursus scolaire n’est pas capital pour un dessinateur de BD. Je connais des auteurs de BD confirmés qui ont pour tout diplôme un brevet d’électrotechnicien et qui ont tout appris par eux-mêmes.
Le diplôme que j’ai fait dans la pub était surtout né d’une envie d’aller travailler ensuite en atelier. Malheureusement ça ne s’est pas fait car l’atelier Philipphe Harchy a fermé les portes quelques temps après. N’ayant plus cet objectif, je me suis alors redirigé vers la BD.
Tout ce que tu as appris en communication ne t’a pas servi pour la suite ?
Si bien sûr, énormément. Ca ne m’a pas appris à dessiner à proprement parler, mais plutôt à optimiser mes dessins et à savoir les utiliser au mieux.
Qu’entends-tu par là ?
J’entends que je ne me lance pas dans un dessin de façon spontanée. C’est à la fois un problème et un avantage. Contrairement à certains artistes, le dessin n’est pas pour moi une façon d’exprimer quelque chose de profond en moi ou un quelconque mal-être refoulé.
J’élabore mon dessin par rapport à mon public et non par rapport à moi-même.
Je réfléchis d’abord à qui va voir le dessin et à quel message ou quelle sensation il faut faire passer. Je me demande dans quel but la personne va le lire : si c’est pour s’amuser, si c’est pour s’instruire, pour ceci, pour cela et j’adapte mon dessin en fonction de chaque besoin.
C’est de cette manière que j’ai été éduqué aux Arts Appliqués et ça m’a été très utile dans ma carrière en me donnant une grande souplesse pour m’adapter à des boulots très variés.
En gros tu as la démarche d’un « marketeux » ?
(Rires) Effectivement, vu comme ça, c’est un peu ironique de la part de quelqu’un qui a décidé de quitter la pub, mais pourtant je reste cohérant car bien qu’on retrouve une démarche marketing, il n’y a pas le cynisme que l’on peut avoir dans la pub. Mon approche est de trouver la façon la plus efficace de transmettre des histoires à des gens et non de les manipuler.
Ta manière de dessiner semble très réfléchie.
Cette approche permet de ne pas s’enfermer dans un style et de varier le plaisir dans la pratique du dessin brut où là, il n’y a pas forcement de réflexion derrière.
Es-tu aussi cadré et réfléchi dans l’élaboration de scénarios ?
Non, dans la mesure où je travaille systématiquement avec un scénariste. J’ai beaucoup d’idées et d’envies, mais pour avoir travaillé avec pas mal de scénaristes différents, je suis bien placé pour savoir ce que ça implique et aujourd’hui, je ne m’en sens clairement pas capable.
Qu’est-ce qui te fait peur dans l’élaboration d’un scénario ?
Réussir à imbriquer tous les éléments pour que tout se tienne. On peut mettre énormément de choses dans un scénario mais ça peut devenir brouillon. Ca va encore quand on peut se permettre 20 tomes pour développer quelque chose, mais c’est très rarement le cas aujourd’hui. Dans le format européen, réussir à faire tenir et à lier tous les éléments pour que, en 46 pages, on ait l’impression d’avoir vu un film et non pas un épisode d’une série TV de 20 min, c’est vraiment un métier.
Ce qui me manque clairement dans l’écriture de scénario, c’est cette capacité à relier les choses entre elles pour en faire un tout cohérent. Ca viendra sans doute avec la pratique mais je me sens davantage à l’aise de me mettre au service d’un scénario déjà établi que de me lancer tout seul.
C’est pour cette raison que j’ai proposé Philippe Zytka pour l’élaboration du scénario du Dofus Monster Kouloss. J’avais déjà eu l’occasion de travailler avec lui dans un genre très différent et lui aussi était intéressé par ce projet qui est éloigné de ce qu’il a l’habitude de faire.
Justement qu’est-ce qui t’a amené à travailler pour Ankama ?
Je connaissais pas mal d’autres auteurs qui se mettaient à travailler pour Ankama quand ça a démarré, notamment oTTami qui a fait pour eux le Dofus Monster sur Nomekop et qui a bossé sur le manga de Dofus Arena. Je suivais donc ce qu’ils faisaient de près et ça m’a donné envie d’y participer car le style est très éloigné des travaux sur lesquels j’ai l’habitude de bosser.
C’est-à-dire ?
Je travaille pas mal sur des BD au style réaliste beaucoup plus sérieuses. La recherche documentaire va assez loin puisque pour les décors et les costumes, je me base sur des documents historiques et archéologiques assez pointus. Mes lecteurs sont des adultes et des collectionneurs particulièrement exigeants sur l’environnement alors que pour Dofus Monster, mes lecteurs sont surtout des enfants essentiellement focalisés sur l’histoire. Du coup, je peux être plus spontané, faire des dessins plus jetés. Ne pas avoir à se perdre dans les détails de chaque image me permet d’être plus dynamique dans le dessin et dans le trait.
Ce sont tous ces facteurs qui m’ont donné envie de réaliser un tome de cette collection.
En général, Ankama donne à l’auteur le choix du monstre dans une liste de personnages tirés de Dofus. Qu’est-ce qui t’a attiré chez Koulosse ?
Le faite que ce soit un tas de cailloux informe.
Si je comprends bien, ce n’est pas le vécu du monstre qui t’a plu mais son aspect physique ?
C’est tout à fait ça. Je passe mon temps à faire essayer de faire de l’anatomie réaliste, l’idée de dessiner un monstre dont le corps est composé d’un amas de rochers de tailles et de formes variées était stimulante. Je pouvais aborder ce personnage de manière totalement différente par rapport à des humains, je peux alors avoir quelque chose de plus spontané et de moins réfléchi.
Cette BD est une bouffée d’oxygène par rapport au travail courant que je fournis.
J’en déduis que tu mènes plusieurs projets en parallèle ?
Oui, je fais parfois plusieurs BD en en même temps et parfois j’y intercale en plus des projets graphiques d’illustrations pour des pubs ou pour d’autres choses. Par exemple, j’ai un de mes anciens professeurs qui est ornithologue et qui participe à des guides sur la faune. Parfois lorsqu’ils ont besoin d’illustrations, je leur fais une ou deux chauve-souris.
Ce n’est pas un peu difficile de jongler de la sorte entre plusieurs projets, donc entre plusieurs styles graphiques ?
Au contraire, pour moi c’est ce qu’il y a de mieux. Ca me lasserait de faire qu’un seul type de dessin tout le temps. C’est comme manger le même plat tous les jours. Je préfère donc passer d’un projet à l’autre pour éviter la routine.
Comment fais-tu pour gérer ton temps avec cette méthode de travail ?
Sur les projets très courts, je les fais sur une semaine ou deux de manière concentrée.
Pour les projets plus longs comme les BD, j’alterne par tranche de deux jours sauf si un des projets est en période de bouclage et que je dois le finir d’urgence, auquel cas, j’y consacre tout mon temps jusqu’à ce que ce soit fini.
Pour les BD qui s’inscrivent dans l’univers de Dofus, le service Background d’Ankama supervise votre travail pour vérifier qu’il n’y a pas d’incohérences ou d’erreurs. Comment s’est passée pour toi cette collaboration ?
Très facilement, je comprends que certains auteurs se sentent oppressés parce que qu’ils ne sont pas habitués à avoir des personnes qui contrôlent chaque détail de la BD, mais en ce qui me concerne, je suis parfaitement rodé à cela puisque je travaille très souvent sur des trucs historiques.
En comparaison des archéologues ou des historiens, on peut dire que le service Background d’Ankama est plutôt cool.
Pourquoi ? As-tu des anecdotes à nous raconter ?
Par exemple, alors que tu viens de passer 3 ou 4 semaines sur une seule page pour reconstituer des scènes de batailles celtes en 200 avant JC avec des milliers de personnages en armure, tu vois débarquer un archéologue qui vient gentiment t’expliquer que la tenue de la lance n’est pas bonne ou qu’il faudrait raccourcir un peu la hampe ou encore que la boucle de ceintures n’est pas de la bonne époque. C’est un peu dur parfois. (rires).
Et encore, là ça va. C’est pas trop grave quand ils interviennent assez tôt pour te dire ça, mais j’ai eu un collègue dont la personne en charge du contrôle historique s’est rendue compte d’une erreur alors qu’il était presque à la fin de l’album. C’est pas super fun pour lui de devoir reprendre 52 pages alors qu’il avait fini l’encrage.
On a aussi des demandes déroutantes. J’ai eu des gars qui m’ont demandé des trucs alors qu’ils ne savaient du tout ce que c’était. Je devais dessiner le cheval de Jules César pendant la guerre des Gaulles. Sur le carapaçon du cheval, on m’a demandé de représenter des rinceaux à feuille d’acanthe.
J’ai dit “Ok, envoyez moi de la documentation par ce qu’un rinceaux, je vois pas ce que c’est.”
On m’a répondu : “Ah bah…. On ne sait pas non plus à quoi ça ressemble »
“D’accord, merci, je donc dois faire un dessin précis de ce que vous ne connaissez pas”. (rires)
Mais bon, ça reste exceptionnel. C’est un peu extrême comme exemple. C’est le truc le plus improbable qui m’a été demandé en BD archéo.
Tu as déjà eu des retours sur les salons des gens qui viennent te demander des dédicaces pour Dofus Monster ?
Oui, j’ai d’assez bons retours, je suis heureux de constater que j’ai un public très différent de ce que je fais d’habitude, ça fait du bien aussi d’avoir des lectorats diversifiés.
En revanche Japan Expo est à part par rapport aux autres salons que j’ai faits. Quand tu te retrouves à dédicacer à côté de pointures comme Ancestral Z ou Tot, tu deviens un peu transparent aux yeux du public. Mais bon, c’est normal dans la mesure où je suis nouveau dans cet univers de Dofus et Wakfu.
As-tu des activités parallèles ou bénévoles ?
Effectivement, je fais du bénévolat, mais uniquement sur le plan graphique car je n’ai pas forcement le temps de m’investir autrement.
J’aide une association de défense du vélo à Lille qui essaye de promouvoir le vélo et les pratiques sécurisées auprès des enfants. Je fais pour eux quelques illustrations pour la lettre interne, le journal ou les fascicules.
Je fais aussi de la danse folk et fréquente des bals traditionnels et du coup je réalise de temps en temps des illustrations pour ces associations de danse.
As-tu d’autres projets en cours ?
J’ai des BD de SF que je dois mener à bien. Après ça, je songe à proposer des projets plus personnels, mais dans l’état actuel du marché, j’ai bien conscience que cela ne va pas être facile. Tout ce que j’ai bossé dernièrement c’est surtout de la BD sous licence ou des séries qui existent déjà et qu’on continue. Le marché est un peu en train de se replier sur les valeurs sûres et lancer des choses nouvelles en ce moment, ce n’est pas facile.
Avec 4000 albums par année, on a une visibilité de plus en plus réduite. Sur l’avenir, je ne sais pas à quoi ça va ressembler. Peut-être qu’il faudra s’orienter vers auto édition.
Merci beaucoup de nous avoir permis d’en découvrir d’avantage sur toi et bonne continuation pour tes nombreux projets.
Merci à vous.
Chronique : Dofus Monster – Koulosse
Site officiel de Trass’Bill : https://www.facebook.com/TrassBill
Sites de Philipe Zytka : http://blanchespages.canalblog.com