Interview de Florent Maudoux (Freaks’ Squeele)

Flaurent Maudoux

Avec Run (Mutafukaz) et Maliki, Florent Maudoux est un des premiers auteurs de bandes dessinées édités par Ankama. Son projet, Freaks’ Squeele, est à part dans le monde de l’édition car son format détonne avec ses volumes de 180 pages en N&B découpés en chapitre.

Lors de Japan Expo 2013, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Florent Maudoux pour revenir sur son parcours, la genèse de Freaks’ Squeele, la place du jeu Call of Cookie dans l’univers.

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Figurine de la pucelle d'Ark inspirée de Jeanne d'Arc

Bonjour Florent, pourrais-tu te présenter rapidement ?
Je suis né en 1979 et j’ai fait des études de maths à l’université à Lyon en maths appliquées, science et informatique ce qui ne m’a pas particulièrement passionné, mais j’en suis quand même ressorti avec mon DEUG en poche. Suite à cela, je me suis complètement réorienté en entrant dans une prépa graphique avant d’intégrer l’école d’animation des Gobelins en 2000.
Comme il n’y avait pas beaucoup de boulots en animation traditionnelle, je me suis tourné vers les jeux vidéo et la 3D et j’ai rejoint le studio de développement Eden Games.

Quel était ton travail exactement ?
J’ai été embauché pour réaliser de l’animation 3D. J’utilisais ainsi un logiciel maison basé sur 3DS Max qui aidait les animateurs 2D à passer à la 3D. On nous donnait un mesh (NDLR : un modèle de personnage 3D en fil de fer avec les points d’articulation et de contraintes) et on n’avait plus qu’à mettre des vecteurs d’animation sur une fiche d’exposition et ça tournait tout seul.
J’ai bossé là-bas pendant 2 ans avant de comprendre que ce n’était pas pour moi. J’étais dans une situation que Laurence J. Peter appellerait une “percussion sublimatoire” : je m’ennuyais tellement dans l’entreprise que je devenais improductif. Du coup, ils me donnaient d’autres postes pour voir s’il y avait quelque chose qui me conviendrait comme un peu de chara design, de la recherche de décors ou un peu de storyboard.
Finalement, il n’y a rien qui m’a convenu. Je suis parti pour faire de l’illustration chez Rackham, un fabricant de figurines en plomb concurrent de Warhammer qui a fermé en 2010. J’ai beaucoup apprécié cette époque, je me sentais bien, je faisais à la fois du chara design et du design de figurines. J’ai été amené à faire beaucoup d’illustrations de fantasy et même un peu de SF sur la fin.

Tu as fait de la création de personnage seulement sur du papier ou as-tu pu aussi t’essayer à la sculpture ?
Toujours sur papier, je faisais le concept puis je travaillais avec le sculpteur pour voir comment on arrivait à le sortir en plomb. J’ai bien sculpté, mais uniquement à titre privé, juste pour le fun en dehors de tout cadre professionnel.
J’ai pris un peu d’expérience à ce niveau-là, c’était rigolo.

Alors qu'elle n'avait qu'une chance sur 1 000 de gagner, Chance gagne son combat contre Ange Saint-Juste

Le travail dans cette entreprise semblait te passionner.
C’était un peu magique, on était d’une certaine manière comme des alchimistes obtenant de l’or à partir de plomb. On faisait des figurines qui étaient tellement jolies que les gens les utilisaient pour des concours de figurines qui pouvaient être peintes. C’était chouette et gratifiant puis Rackham est passé curieusement au plastique prépeint et prémonté par les chinois.
Donc plutôt qu’un hobby, on se retrouvait à vendre des jouets un peu bêtes et méchants sans vraiment d’âme. La qualité n’était plus au rendez-vous car certaines figurines comportaient des lances toutes tordues. C’est justement l’inconvénient du plastique par rapport au plomb. Alors que le plomb est malléable et peut être redressé, le plastique est un matériau souple avec mémoire de forme.
A cause de cela, je me retrouve donc à nouveau à avoir envie de quitter l’entreprise au bout de deux ans. Je commençais à me demander si j’étais capable de rester plus de deux ans quelques part sans que l’ennuie me gagne car depuis mon BTS j’avais l’impression de fonctionner par cycle de deux ans.
Mais j’étais motivé par cette envie de changement alors je me suis alors attelé à la préparation d’un book en l’orientant cette fois vers la bande dessinée. Ce choix s’est fait un peu à l’instinct car ma compagne aimait mes travaux dans ce domaine.

La bande dessinée n’était donc pas un désir que tu avais avant ?
Si, si, au contraire, c’était une vieille passion. A partir de mes 13 ans et jusqu’à la fin du lycée, j’ai rempli des cahiers entiers de 200 pages de bande dessinée. Je les montrais à mes potes qui s’amusaient bien en les lisant. Je faisais vivre des univers que je développais suivant ce qu’ils kiffaient. C’était assez stimulant.
Cependant, j’ai perdu cet état d’esprit quand je suis rentré à l’université. Je continuais bien à dessiner, en particulier les personnages de jeux de rôle que jouaient mes amis, mais je ne développais plus d’histoires en bande dessinée. Entre-temps, j’étais passé au dessin animé et je m’étais rendu compte que les règles de narration pouvaient être très compliquées et pointues. Les règles sont extrêmement précises en ce qui concerne par exemple l’orientation des regards, les actions d’un plan à l’autre, l’alternance d’un plan éloigné et d’un plan proche, les coupes…
A ce moment-là, je me suis dit que je n’étais pas prêt pour la BD.

Mais pourquoi tu ne te sentais pas prêt pour la BD ? Tu n’étais pas encore au point ?
Je ne me sentais pas la légitimé d’aborder la BD parce que je n’avais pas étudié dans ce domaine alors que j’avais étudié le dessin animé.
Sauf que ce que je dessinais plaisait à ma compagne et j’ai continué. J’ai fait de petites planches avant d’avoir les 200 planches de story-board pour Freaks’ Squeele.
Très rapidement, l’univers s’est posé car j’avais déjà les personnages mais je n’arrivais pas à faire un dossier “classique” avec ton petit model-sheet de personnages, avec ta petite description dessous, ton petit synopsis de l’histoire avec les développements et ton déroulé du tome 1.
J’étais incapable de le faire car je ne suis pas un littéraire à la base. Je suis un visuel. Du coup, j’avais besoin de dessiner pour développer mes personnages. J’ai donc commencé à réaliser les 200 premières pages pour prendre en main les personnages. Le fait de les voir vivre dans les yeux de ma compagne m’a encouragé à faire la suite.
Plus tard, quand j’ai montré mes 200 planches de story-board à tous nos amis, à chaque fois, ils me disaient : “c’est quand la suite ? “. Et là, je me suis dit : “Y a un truc, c’est pas mal. Ils aiment bien, ils lisent ça avec plaisir.” Je le voyais dans leur regard. Leur réaction m’a motivé à faire un dossier.
A ce moment- là, j’avais plus qu’un story-board : il suffisait d’encrer et la BD était prête. Il était alors devenu facile à réaliser car j’avais déjà bien en main les personnages et l’histoire car tout était dans le story-board.

Valkyrie drague Ombre avant l'attaque des soldats en gâteau

C’est avec ce dossier que tu as commencé à faire le tour des éditeurs ?
Oui, j’ai commencé à montrer mon dossier à droite à gauche en espérant pouvoir signer sous la forme d’un manga.
Cependant, c’était compliqué car beaucoup d’éditeurs voulaient des formats classiques et non une série au format manga parce qu’ils n’avaient essuyé que des plâtres. Le manga à la française marchait assez peu.
Au bout d’un certain temps, Dupuis était prêt à me signer en tant que dessinateur sur une BD écrite par une autre personne. Cependant, l’éditeur m’a envoyé un email maladroit dans lequel il disait qu’il n’était pas très enthousiaste sur les pages d’essais que je leur avais faites. Du coup, je me suis dit “bon, ben, c’est foiré” et j’ai renvoyé mon dossier à tout hasard à quelqu’un. Et ce quelqu’un, c’était Ankama.

Ce qu’a eu Ankama, c’était bien un crayonné ? Ou avais-tu déjà encré le story-board ?
Non, ils ont eu quelques crayonnés. Je ne leur ai pas envoyé les 200 pages, sinon ça aurait un mail un peu conséquent. Je leur ai envoyé le dossier “classique” que j’avais déjà envoyé à d’autres éditeurs avec quelques pages choisies et les chara design des personnages…

Ils ont accepté tout de suite ?
Presque ! Après l’histoire avec Dupuis, j’ai envoyé mon email avec tout le dossier sur la mailing list Ankama où tout le monde se présentait. Deux heures après, j’ai eu Tot au téléphone qui me dit : “Florent, ton projet, il me fait BANDER”. J’en étais encore à vouvoyer mon contact chez Dupuis ce qui contrastait avec le tutoiement et l’approche très “directe” de Tot. Sur l’instant, je me dis “Mais c’est qui ces zozos ? ” A l’époque, Ankama ne sortait que le manga DOFUS et les BD Maliki et Mutafukaz. La partie édition était vraiment neuve car ces 3 titres étaient les seules cautions d’Ankama.
Tot m’invite donc à Lille voir les locaux et le rencontrer ainsi que Run (NDLR : l’auteur de Mutafukaz). Sur place, je vois que derrière cette première impression singulière, leurs projets sont sérieux et surtout qu’ils sont motivés. Mais ce qui m’a particulièrement séduit, c’est qu’ils ont également la même envie que moi de vouloir d’apporter un nouveau souffle à la BD que l’on trouvait encroûtée. En voyant Mutafukaz et Maliki, je me suis dit qu’il y avait probablement une place pour moi entre les deux.
C’est en voyant mon story-board complet que Tot me propose de le faire au format cartonné car “tu as un dessin assez luxueux, ce serait dommage de le faire en tout petit“… Je réfléchis au truc 2 secondes et je me dis : “putain, mais pourquoi pas ? ce serait bien”.
Cette entrevue fut la première marche vers la publication de Freaks’ Squeele, dont le premier tome est sorti le 3 Juillet 2008. A partir de là, tout a roulé.

Après tes mésaventures chez Rackham et Eden Games, tu n’avais pas peur de signer chez Ankama qui n’avait pas encore beaucoup d’assise dans le milieu de la publication papier ?
Ankama n’avait certes pas la caution ni la garantie des grandes boîtes mais l’entreprise avait l’esprit d’aventure et c’est ce qu’il m’avait manqué dans les jeux vidéo et la figurine, même si Rackham était déjà plus aventureux.
Quant au jeu vidéo, le studio où j’étais salarié, Eden Games, travaillait pour Atari, une grosse entreprise qui voyait qu’il y avait du fric à se faire dans le secteur. Le jeu vidéo m’avait pas mal dégoûté à l’époque…
Tot avait un état d’esprit différent car dès qu’il gagnait des sous, il les réinvestissait de suite dans le jeu vidéo, dans l’édition ou dans le dessin animé. Du coup, j’ai voulu faire partie de cette dynamique et apporter ma pierre à l’édifice.
Maintenant, ça tourne bien, je suis vraiment content.

Xiong Mao aide Sélène après que des élèves aient renversé ses affaires

Et pour Dupuis ?
Dupuis voulait vraiment travailler avec moi et l’email que j’ai reçu était un peu malheureux.
Ce qui dérangeait la maison d’édition était mon style de narration trop moderne pour eux.
Après avoir rencontré Tot, je leur ai dit “non, je suis désolé mais j’ai vu Ankama, ils sont partants pour mon projet personnel.
Ils ont tout de suite compris et franchement, je garde une bonne expérience et un bon souvenir de ma relation avec Dupuis car ils sont très sérieux. Mais je pense que l’état d’esprit ne me correspondait pas.

Ils sont trop institutionnels pour toi ?
A l’époque où j’ai commencé, oui, c’était trop institutionnel pour moi. Clairement. D’un côté, tu avais Ankama, jeune boîte qui proposait de faire mon projet à moi, de l’autre côté, tu avais Dupuis qui me dit “Florent, tu dessines bien, ton illustration, elle est cool, on va t’embaucher en tant qu’illustrateur, dessinateur sur une histoire d’un autre” .
Chez Ankama, c’est “fais toi plaiz, on te fait confiance, lâche toi.” Aujourd’hui encore, on a gardé le même rapport.
J’en ai parlé aux éditrices et aux auteurs que j’ai rencontrés ; mon cas est assez unique dans l’édition : j’arrive le jour de la livraison de la BD et je balance mes 130 planches sans qu’ils aient vu quoi que ce soit avant. Alors que normalement, tu es toujours suivi. Après réception, ils regardent mes 130 pages et ils font “oui, c’est cool”. Ils demandent des fois de petits changements mais rien de lourd.
Cela dit, avant de leur donner, j’essaie d’avoir du recul sur mon travail en le montrant à des amis. Par moment, c’est seulement ma compagne. Au moment où je rends mes planches, on passe de 2 ou 3 personnes à l’ensemble de l’édition et des fois, certains n’ont pas compris un passage. Ce retour est important car en bande dessinée quand quelqu’un qui n’a pas bien compris, c’est qu’il y a un problème. C’est toujours de la faute de l’auteur quand il y a quelque chose qui n’est pas clair.
Par conséquent, je retouche toujours un petit peu, c’est normal. Mais, grosso modo, ça va très vite, il y a très peu de retouches : seulement 2 ou 3 par BD.

Ankama te donne pas mal de liberté dans la gestion de ton œuvre.
Effectivement, cette liberté va assez loin puisque j’ai cette chance d’avoir mon mot à dire sur le format. Avec Run et Tot, je peux discuter pour décider de tous les détails : est-ce que je veux qu’il soit cartonné, souple, avec le bord des pages noir comme sur Funérailles, avec un titre un peu plus brillant, quel type de papier ou de rendu… C’est magique, tu peux tout faire.
On peut se permettre beaucoup de choses chez Ankama à condition que tu sois pro derrière et que les lecteurs te suivent. C’est normal, il faut quand même des garanties.

Ombre de Loup a écrit sur une feille Ombre love petit panda (Xiong Mao en Chinois)

Revenons à Freaks’ Squeele, c’est une BD au format assez peu courant (130 pages en N&B avec chapitrages) , comment la présentes-tu ?
Freaks’ Squeele est un univers où je m’éclate et que j’ai pensé le plus large possible.
Je suis quelqu’un de paradoxal : je m’ennuie assez vite de la routine tout en étant quelqu’un d’assez routinier.
Avec mon expérience au collège et mes précédents métiers, je savais que j’avais du mal à me fixer. Du coup, je me suis dit que je devais créer Freaks’ Squeele pour faire en sorte que je ne m’ennuie jamais. En effet, quand je dessinais gamin, j’étais incapable de rester sur le même projet de BD d’un mois sur l’autre. J’étais capable de passer de la science-fiction à la fantasy puis de la comédie amoureuse au romantisme dramatique. Ça changeait suivant ce que je lisais, ce que je voyais.
J’ai donc mis en place un univers super vaste où j’ai placé pleins de personnages rigolos avec des idées de développement en tête.

Parlons des personnages, on sent vraiment qu’ils sont importants pour toi.
Dans le tome 6, vous allez voir les personnalités cachées des personnages secondaires tout comme leur univers parce que chaque personnage a son petit univers. En fait, chaque personnage pourrait faire l’objet d’un spin- off à lui tout seul, un peu comme dans l’œuvre de Terry Pratchett. Il commence sur Rincevent puis chaque tome est un spin-off sur un des personnages qu’il a présentés : un sur Mortimer, un autre sur le Le Guet des Orfèvres
Freaks’ Squeele est un univers avec des règles communes comme les super-pouvoirs mais c’est un univers où on peut faire pleins de choses.
J’essaie quand même de me concentrer sur l’histoire des 3 héros par rapport à l’université parce que quand tu fais une BD, tu fais des promesses aux lecteurs et à un moment donné, tu es obligé d’y répondre. Tu dois tenir le fil conducteur sinon tu perds des lecteurs. Si tu ne réponds pas aux jalons que tu as posés, ils finissent par se dire : “ça part dans tous les sens, je ne sais pas où je vais arriver”. Tu prends alors le risque de voir ton lecteur décrocher et arrêter de te suivre.

Justement, tu pars dans beaucoup de directions tout en parvenant malgré tout à concentrer l’histoire sur quelques personnages…
A un moment donné, il faut titiller un peu les lecteurs : “tiens, voilà, je te montre ce qu’il risque de se passer” en sous-entendant des choses, en montrant des petits trucs, des petits éléments, des indices. Grâce à cela, tu fais cogiter un peu le lecteur, tu l’invites à rentrer plus en avant dans ton univers pour anticiper…
En fait, j’apprends comment faire une série. Dans un one-shot, tu livres un ouvrage fini au lecteur et tu le livres à son jugement. Faire une série, c’est une approche totalement différente. Les gens ont le temps d’intégrer l’univers entre chaque tome ; c’est ce qui fait qu’ils le vivent. Cet environnement que je créé et les règles qui le régissent deviennent une réalité qu’ils ont assimilés et qui modifient leur façon de raisonner.
Le film Memento illustre assez bien l’impact d’une œuvre sur le fonctionnement cérébral de celui qui la vit. Ce film est entièrement en rebours. A la fin, quand tu sors de la salle de ciné, tu penses à rebours comme dans le film….
En tant que spectateur, tu t’immerges dans un univers, dans une série et cet univers continue à vivre en toi. Quand tu le reprends 1 an plus tard, 10 mois plus tard ou 6 mois plus tard en fonction de la parution, le lecteur l’a intégré et c’est devenu quelque chose de réel pour lui. Les personnes ne sont pas juste des archétypes de héros ; le personnage est devenu une part de lui ou un ami. Ainsi, dans la série Friends qui s’étale sur 10 ans, tu avais l’impression d’avoir des amis en plus de tes amis réels. Tu suivais cette bande d’amis qui étaient aussi un peu les tiens.
Et c’est ça, la grande force des séries. Quand tu écris une série, ce n’est pas la même chose que d’écrire un one-shot. Et tu dois ce respect à chacun des personnages que tu imagines. Tu ne peux pas les trahir au risque d’avoir un sévère retour de bâton de tes lecteurs.
Arriver à gérer cela ça s’apprend par la pratique. C’est un truc que dois vivre ; on ne peut pas te l’enseigner dans un cours magistral.

Chance découvre qui est son vrai père (Freaks' Squeele Tome 5)

Malgré ce respect des règles de l’univers, tu casses 2 fois la narration dans l’histoire (la deuxième saison de la BD au tome 4 et le flash forward du tome 5)
Dans le tome 5, je voulais mêler leur quête personnelle et la quête de vérité autour de l’université. Finalement, le mieux pour mêler tout cela était de faire un reset memory pour pouvoir poser des questions de fond : Qu’est-ce qu’on fait ? Pourquoi on est là ? Qu’est-ce qu’il y a au final ?
Cette remise à plat permet d’avancer : avant de retrouver vraiment leur mémoire à eux, ils finissent par découvrir les vrais enjeux de l’université, c’est à dire qu’est-ce qui existait avant l’université, qu’est-ce qu’il s’est passé pour en arriver à la situation présente. La vérité, évidemment, est un peu complexe. Mais c’était vraiment amusant d’essayer… Il y avait un vrai défi sur le tome 5 au niveau narratif. Le tome 6 repart plutôt dans l’ambiance du tome 2 et 3 dans le côté quête personnelle mais beaucoup plus fun.

Avec la sortie de Freaks’ Squeele, on dirait que ton cycle de 2 ans est fini ?
Effectivement, cette fois j’ai réussi à rester plus de deux ans dans la même activité. C’est certainement parce que je me suis trouvé dans la bande dessinée que j’ai pu casser cette logique de cycle qui a débuté avec mes études. Je crois au fond que je suis vraiment tombé amoureux de la bande dessinée. C’est vraiment le medium sur lequel je m’éclate le plus parce que j’ai vraiment ma liberté grâce à Ankama Editions.
Avec la BD, tu as une liberté d’expression qui est extraordinaire et un rapport avec le lecteur qui est unique… J’ai rencontré un public qui suit avec passion ce que je fais ; je le vois dans leurs yeux. C’est alors difficile de les trahir et de faire autre chose. Si tu te dis : “Ah tiens, je vais me lancer dans l’aventure du dessin animé”, tu ne peux pas car derrière tu as la BD, tu as des responsabilités avec eux.
Et puis, avec le jeu vidéo et le dessin animé, c’est un travail d’équipe. Comme c’est un travail d’équipe, ça veut dire beaucoup de sous. Comme ça veut dire beaucoup de sous, ça veut dire trouver des financiers. A la fin, si tu veux être quelqu’un qui influence le concept du jeu, tu es quelqu’un qui fait plutôt du planning, du financement, des réunions que quelqu’un va palper le produit fini.
Avec la BD, j’ai un contact avec le produit fini qui est total.

En parlant de jeux vidéo, c’est toi à l’origine de Call of Cookie ?
Oui, je suis à l’origine du jeu vidéo. Mais le projet s’est lancé avec ma rencontre avec le futur producteur du jeu, Chanh dans l’atelier où je travaille. Il connaissait déjà ma BD avant notre rencontre grâce au pote qui nous a présentés.
Humainement, je me voyais bien bosser avec lui car il est sérieux et sympa : je l’avais déjà vu super patient avec des stagiaires comme cette fois où il a passé 2 heures à expliquer avec une patience infinie ce qu’est un “achievement” (NDLR : haut-fait).
Je me suis dit que ce gars-là bossait bien. En plus, il avait l’expérience sur tout type de jeux. Il avait déjà fait du AAA (NDLR : les blockbusters des jeux vidéo), il avait déjà fait des jeux iPhone.
On s’est dit “tiens, on peut faire un truc” donc on a parlé du projet du jeu. Moi évidemment, j’avais des envies extraordinaires comme un nouveau MMORPG avec des règles totalement barjots. Chanh m’a alors recadré car tout est cher.
Petit à petit, on s’est orienté vers une partie de la bande dessinée qui avait plu et qui avait déjà été déclinée en jeu de plateau.

Passe-temps de Changelin qu'il cache dans un cahier

Quels étaient vos inspirations sur Call of Cookie ?
Déjà, le jeu de plateau que j’avais sorti (NDLR : dans l’édition collector du tome 4 de Freaks’ Squeele), on utilise déjà les Freakies. On les a appelés comme cela car “soldat de pains d’épices” est un peu long.
On a aussi cogité sur le style de jeu qu’on voulait. On a vu des jeux qui existaient déjà, qui étaient bien sympas mais qui étaient sous forme de texte, comme par exemple, un jeu de Kung- fu où tu envoyais par exemple “coup de pied haut” et ton adversaire répondait à l’action. C’était une sorte de pierre, feuille, ciseaux améliorés.
On s’est dit “tiens, on améliore ça” et, en gardant cette idée de cookies, on est parti sur les boîtes de Freakies qu’on envoie à ses amis comme des cadeaux sauf qu’ils sont empoisonnés et que tu vas les combattre avec tes propres Freakies.
On avait une boîte en tête pour la réalisation puis on a proposé le projet à Ankama.
En fait, Call of Cookie s’est lancé comme Rouge, le spin-off de Freaks’ : avec une rencontre. Quand j’ai vu Sourya et son dessin, je me suis dit : “Oh, purée, j’ai envie de travailler avec lui, qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ?

La campagne solo de Call of Cookie propose une histoire exclusive dans l’univers, peux-tu nous dire où se situera cette histoire ? Le développeur du jeu vidéo n’a pas pu nous dire quand se déroulait cette nouvelle aventure.
Le problème, c’est que je sais où cette histoire se situe chronologiquement mais je n’ai pas envie de le dévoiler parce que ça ferait du spoil. Le moment temporel où ça se passe est très clairement posé dans ma tête, c’est très précis.
On s’est même interdit de faire des choses pour ne pas spoiler. Chanh le sait, mais même le réalisateur du jeu ne le sait pas.

Tu avais déjà essayé de faire des spin-off avant Rouge et Call of Cookie ?
Oui, oui. Ça a foiré parce que je n’étais pas mature pour la chose. Je n’étais pas prêt. J’ai découvert un truc : il vaut mieux rencontrer une personne avec qui on a envie de travailler plutôt que de partir bille en tête et d’embaucher des gens externes pour t’épauler.
Au final, recruter des personnes demande plus d’investissement qu’un travail en collaboration qui est plus naturel.
Ainsi, sur Call of Cookie, Chanh m’a demandé des choses. Des fois, ça me faisait bien chier mais je savais que ça faisait partie de son travail de me demander des choses. Du coup, je les ai faites. Par exemple, j’ai dessiné tous les avatars des héros proposés par le jeu. Il y en a 40 ou 50, c’était énorme comme travail. Il a fallu que je les réalise avec leur personnalité et des histoires qui peuvent aller avec pour que les gens puissent se dire “Ah tiens, ce personnage, je l’aime bien, y a des histoires qui me viennent parce que son armure est en boîte de conserve”.
Au final, je pourrais les utiliser dans la BD mais il y a déjà trop de personnages secondaires. Peut-être en tant que figurants, qui sait ? Mais ils n’auront jamais autant d’importance que Gunther ou Sablon.

En parlant de recrutement qui n’a pas fonctionné, tu penses à l’anime dont tu parles dans le tome 4 et qui depuis semble enterré ?
C’est par rapport à cette expérience que je disais que si tu as un projet qui te tient à cœur et que tu cherches des gens extérieurs, tu peux avoir des problèmes.
En effet, on est tombé sur un réalisateur qui était un peu fatigué parce qu’il sortait d’une production Naruto et qu’il est arrivé mort sur la production. Il a fait un truc indigne de lui car je suis convaincu qu’il aurait pu faire mieux.
Je dois dire qu’on a aussi eu un producteur qui n’a pas été très franc- jeu avec nous. Au début, on part sur un pilote de 10 min, on a un scénariste assez talentueux qui nous pond un truc qui est correct et que je trouve bien pour la durée. Puis tout à coup, après 3 mois de production, le producteur nous demande de passer l’épisode à 23 minutes… 23 minutes ? “Tu es train de nous dire que tu veux doubler le budget ?” Mais, 23 min sur le même scénario, on va se retrouver avec un « filler » dégueulasse de Naruto (NDLR : le « filler » est un épisode bouche-trou sans lien avec la trame du manga original). Je déteste ça et c’est justement ce que je veux à tout prix éviter.
J’ai donc arrêté malgré le mois que j’avais passé là-bas à travailler avec des gars sur les décors au Japon.
C’était un voyage assez cool mais j’ai travaillé surtout avec des animateurs hispanophones d’Ankama hispanophes. C’était drôle.

Donc l’anime est définitivement mort ?
En veille, plutôt.
Des fois, je me dis “tiens, ce serait bien en anime” et je cogite. J’essaie de trouver LA bonne idée qui ferait que ça justifierait un passage en anime. Je ne voudrais pas que ce soit “On prend Freaks’, on essaie de traduire ça en anime.”. Parce que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.
Par exemple, j’adore Genshiken, un super manga (NDLR : édité par Kurokawa). La série a été adaptée en anime en le traduisant plan pour plan, le résultat n’est pas top ; c’était mieux en manga.
Une telle adaptation n’a pas d’intérêt. Il y a des trucs plus intéressants à faire comme un spin- off, une relecture via un plan complètement différent. Il y a des astuces scénaristiques pour réussir cela. Mais il y a des possibilités comme passer Funérailles en anime ou en film ; ça pourrait le faire.

Une dernier question, tu as toujours travaillé en atelier ou parce que c’était insupportable de travailler chez toi ?
Là, encore, c’est une opportunité car un pote m’a dit “J’ai un atelier, j’ai de la place, tu veux venir ?”.
J’avais besoin de place pour travailler avec Sourya. Et puis, j’avais aussi envie de retrouver un pote, une espèce de compagnon de guerre qui était chez Eden et qui s’en est sorti… C’est un peu comme la guerre : quand tu sors d’une boîte où ça ne se passe pas très bien, il y a des syndromes post- traumatiques. On était soudés par cette galère commune et en plus, on s’entendait bien. Depuis, on est à l’atelier, on joue ensemble à Starcraft. On est nuls. Surtout moi.
Les autres membres de l’atelier sont liés à l’univers du divertissement comme Migel qui est illustrateur de livres, des jeux de plateau et de cartes TCG (NDLR : Trading Card Game).
De toute façon, j’ai traîné mes guêtres dans tous les divertissements. Pour moi, ça reste le même corps de métier mais des spécificités différentes en fonction de chacune des disciplines.

Le mot de la fin ?
J’ai l’impression de faire le plus beau métier de la terre, c’est pour ça que le cycle de malédiction des 2 ans s’est arrêté lorsque j’ai commencé la bande dessinée.

Interview réalisée à Japan Expo le 7 juillet 2013

Remerciements : A Florence qui nous a donné la chance de pouvoir réaliser cette interview et à Florent pour sa bonne humeur communicative.

Flaurent Maudoux

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