Interview de Nadou (Les Légendaires Origines)

Nadou (Nadine Saint-Pol) est une dessinatrice de BD née le 4 Avril 1988 en France à Beauvais (dans l’Oise). Elle s’est fait connaître du grand public en réalisant les dessins des Légendaires Origines, le préquel des Légendaires de Patrick Sobral.

A l’occasion de la sortie du tome 1, elle a gentiment accepté de répondre à nos nombreuses questions pour nous permettre d’en apprendre plus sur elle et sur la genèse de sa collaboration avec Patrick Sobral.

Comment en es tu arrivée à faire de la BD ?

Comme beaucoup de dessinateurs de BD, je dessine depuis que je suis toute petite. Très tôt j’ai su que je voulais faire un métier lié au dessin, bien que je n’ai pas particulièrement envisagé la bande dessinée. Mes premières commandes étaient plutôt des illustrations et, avant d’attaquer les Légendaires, je n’avais dessiné que trois planches d’un projet BD personnel nommé « Elementya », mais qui n’a finalement jamais abouti.

As-tu fait des études liées au dessin ?

Pas exactement, arrivée en terminale, j’ai choisi un Bac L avec option Arts Plastiques, j’espérais pouvoir développer mes compétences, mais cette formation m’a beaucoup déçue car même si les profs reconnaissaient mes compétences techniques, ils n’aimaient pas mon travail et m’ont expliqué que mon style « manga » n’avait aucun avenir.

Ces remarques ont fini par me décourager et progressivement, perdue et indécise quant à mon avenir, j’ai commencé à lâcher les cours, si bien qu’à la fin je n’assistais plus qu’à un tiers d’entre eux. Finalement je n’ai pas eu mon Bac et j’ai renoncé à le repasser où à tenter une formation de type « Beaux Arts » car on m’a bien fait comprendre que la problématique « manga » serait la même (NDL : je confirme). J’ai donc préféré continuer à apprendre en autodidacte en pratiquant et en utilisant des tutoriels sur internet pour apprendre certains logiciels graphiques.

Avec le recul, je pense que j’aurai dû insister pour avoir mon Bac pour faire des études de dessins car j’aurai probablement progressé plus vite en apprenant certaines bases que j’ai dû redécouvrir par moi-même bien plus tard et surtout j’en aurai sûrement beaucoup moins bavé.

Peux tu développer ce qui t’en a fait baver ?

Eh bien, comme je ne faisais pas d’études et que mes parents ne pouvaient pas subvenir à mes besoins, il fallait bien travailler. Je faisais des illustrations à la commande, mais ce n’était pas suffisant pour vivre, alors j’ai dû enchaîner pas mal de petits boulots comme emballer les cadeaux pendant les périodes de Noël ou encore enquêtrice téléphonique pour des sondages. Ce dernier boulot est éreintant car on sait qu’on dérange les gens et on passe son temps à se faire rembarrer, je n’en garde pas vraiment un excellent un souvenir, je rentrais souvent épuisée et déprimée.

Quand je ne travaillais pas, j’essayais de dessiner le plus possible pour continuer à progresser, mais avec ce type de boulot on n’a pas toujours le moral ou l’énergie quand on rentre.

Comment a réagi ta famille lorsque tu as voulu t’orienter vers une profession artistique ?

En général, les parents voient d’un mauvais œil lorsque leurs enfants s’orientent dans ce domaine, ils préfèreraient les voir faire un travail « normal », ce qui est plus rassurant pour eux. Mais j’avoue qu’avec mes parents j’ai eu beaucoup de chance car ils m’ont encouragée. Mon père était un fan d’Hergé et a toujours rêvé de faire de la BD, il comprenait donc parfaitement ma démarche. Lui-même a plaqué un boulot de salarié pour faire ce qui le passionnait. Vers 40 ans, il a décidé de devenir photographe, cameraman et monteur. La paie est irrégulière, mais il fait ce qu’il aime.

Quant à ma mère, même si elle n’a pas apprécié que je renonce à passer le Bac, elle m’a quand même poussée à continuer le dessin, elle ne voulait pas me mettre d’interdit dans ce domaine car selon elle : « on apprend en se cassant la gueule ».

Mes grands parents paternels étant d’une autre génération, ils ont ressenti de l’inquiétude avec la démarche artistique de mon père et ne voyaient donc pas d’un très bon œil que je suive une voie similaire. Cependant même s’ils ne comprenaient pas mon choix, ils ont toujours été là pour m’aider en cas de besoin. Ils m’ont hébergée quand j’ai eu des soucis personnels, je n’en serais pas arrivée où j’en suis si ils n’avaient pas été là pour me soutenir, je leur dois beaucoup.

Comment as-tu rencontré Patrick Sobral ?

En fait, c’est lui qui a pris contact avec moi par mail. A l’époque il cherchait un dessinateur capable de faire le prequel des Légendaires dans un style assez proche du sien. Il avait vu quelques échantillons de mon travail sur le web et voulait avoir si j’étais intéressée par le projet. Ça m’a énormément surprise qu’il me contacte car je pensais que mon niveau était trop faible pour intéresser un pro et paradoxalement selon ses propres dires, c’est justement le rendu « pro » de mes illustrations qui a séduit Patrick Sobral.

Donc après ce premier contact tu as commencé à travailler sur ce projet ?

Pas du tout, il avait d’autres dessinateurs en réserve, il m’a donné quelques tests à faire pour voir si je correspondais vraiment à ce qu’il cherchait. Il a été très honnête avec moi en me disant de ne pas m’emballer car c’était juste un test et non l’assurance de décrocher le projet.

 Voici les trois planches de test réalisées pour Sobral (elles ne se suivent pas) :

Finalement on s’est rencontré à mon stand en Juillet 2010 lors de Japan Expo et c’est là qu’il a officialisée notre collaboration. Il se charge du scénario et du découpage des planches et moi je dois faire les dessins définitifs et la mise en couleur.

Quel effet cela t’a fait d’être choisie ?

Une grande joie, mais aussi une énorme bouffée d’angoisse. Avant que Patrick ne me contacte, je ne connaissais pas les Légendaires, après m’être renseignée, j’ai commencé à mesurer l’importance du phénomène et le poids que des attentes qui pesaient sur mes épaules. J’avais peur de décevoir les fans, et peur de ne pas être à la hauteur.

Je réalisais aussi que j’avais eu beaucoup de chance d’être au bon endroit au bon moment, sans cela, je serais peut-être encore en galère. Du coup, cela m’a motivée pour m’accrocher lorsque j’avais des coups de mous pendant la production du tome.

Justement, comment s’est passée la collaboration avec Patrick Sobral ?

Avant de commencer à travailler avec lui, je n’avais jamais fait de BD à part trois planches pour un projet qui avait avorté. Du coup au début, j’étais beaucoup trop lente, je faisais pas mal d’erreurs comme oublier la garde d’une épée ou un chapeau. Malgré cela, Patrick a été incroyablement patient, à cause de mon inexpérience et de quelques problèmes personnels, j’ai un peu traîné. Sans son acharnement à me pousser de l’avant, je n’y serais jamais arrivée. Il a toujours cru en moi et a insisté auprès de Delcourt pour qu’on me laisse ma chance.

Personnellement à sa place, j’aurai dit « elle déconne » et je serais passé à quelqu’un d’autre. Du coup, je redoutais qu’il arrête tout avant la fin du projet, pourtant il ne l’a pas fait. Malgré le retard que j’ai pris au début, j’ai fini par trouver mon rythme, passant de 1 à 4 planches par mois, et j’ai enfin pu finir le premier tome. Avec ce projet et l’aide de Patrick, j’ai mûri de quelques années en quelques mois.

Vous n’habitez pas au même endroit, Patrick est à Limoges et toi en Belgique, est-ce que cela ne complique pas un peu la façon de travailler ?

Avec internet, on peut scanner et envoyer ses brouillons par mails de façon réactive, il est donc assez facile de travailler à distance, mais c’est vrai que j’ai trouvé cela un peu délicat, non pas sur le plan professionnel, mais sur le plan humain car la distance jette un froid et ça ne permet pas de nouer facilement un lien de proximité.

Bien sûr, on échangeait pas mal par mails pour les corrections, mais ce n’est pas la même chose qu’une conversation de travail en tête à tête. Heureusement il y avait le téléphone, même si des fois je redoutais un peu ses appels car je savais qu’il allait me remonter les brettelles lorsque j’avais raté quelque chose ou que j’étais à la bourre.

Est-ce difficile de s’immerger dans l’univers créé par quelqu’un d’autre ?

Pour être franche, j’étais un peu inquiète car mon univers est plutôt inspiré par Evangelion et Vision d’Escaflowne  alors que celui de Patrick est très imprégné par des animes d’une autre génération comme Saint Seiya (les chevaliers du Zodiaque) aux graphismes particuliers. Du coup, j’avais un peu mal à m’identifier au style de Sobral et surtout je me demandais comment j’allais pouvoir m’en sortir avec les coupes de cheveux.

Pourtant malgré cette petite appréhension, j’ai été étonnée de voir à quel point je me suis rapidement immergée dans son univers. Même si ce n’est pas moi qui aie conçu ces personnages, j’ai presque l’impression qu’ils sont devenus comme mes enfants.

Il y a beaucoup de clins d’œil à des animés connus est-ce que c’est Patrick qui t’a poussé a en faire, ou avais tu déjà naturellement cette tendance ? Est-ce lui qui t’a suggéré certains clin d’œil ?

Comme à son habitude, Patrick a glissé quelques clins d’œil dans ses planches préparatoires comme par exemple le Pikachu ou la couronne de Seiyar, mais il m’a aussi poussé à en mettre quelques uns. Au début j’hésitai beaucoup. Finalement je me suis lâchée, en particulier à la planche 24 lorsque Jadina vide son coffre.

As-tu une culture manga similaire à celle de Patrick ou aimez vous des choses très différentes ?

Nous n’avons pas exactement les mêmes références. Je pense que c’est surtout une problématique de génération, car la culture qui nous imprègne est celle de notre enfance. Pour moi ça a été Sakura, Pokemon, Evangelion, Escaflowne alors que Patrick, qui est plus âgé, fait plutôt partie de la génération Club Dorothée (St Seiya, Dragon Ball, etc…) nous n’avons donc pas connu les même choses.

La plus grande différence entre nous vient du fait qu’il est un grand amateur de Comics alors que je connais assez mal cet univers.

Pendant la production du tome 1, tu as posté quelques éléments de ton travail sur le web, quels retours as-tu eu des fans des Légendaires ? Comment ont-ils réagi sachant que ce serait un autre dessinateur que Patrick Sobral qui allait s’atteler au prequel ?

J’ai été agréablement surprise, il y a eu quelques méfiants au début, mais plus je postais des trucs, plus j’avais des fans. Il y a quelques irréductibles qui préfèrent encore le style d’origine, mais ils sont contre balancés par ceux qui préfèrent ma version de Danaël. Il y a donc un peu de tout.

Il y a aussi eu des commentaires particulièrement virulents qui m’ont parfois un peu démoralisée, mais Patrick m’a dit de ne pas répondre car les fans s’en chargeront pour moi.

J’ai donc appris à prendre un peu de recul pour que les remarques négatives n’affectent pas mon moral et par ricochet la qualité de mon travail.

As-tu des loisirs ou des passions ?

J’adore mon chat qui aime me distraire quand je dessine, j’aime jouer avec ma petite sœur de 2 ans et être avec ma famille.

Je m’adonne aussi à la création de bijou en pâte polymère et je joue aux jeux vidéo comme les MMORPG Dark age of Camelot, WOW ou encore Aion. Mais j’avoue que depuis que je travaille sur les Légendaires, je n’ai plus trop le temps pour jouer à cela.

Quels outils utilises tu pour dessiner ?

Les croquis sont fait au crayon et pour la mise en couleur j’utilise Paint Tools SAI (logiciel Japonais). Ce logiciel est excellent, mais il a une fâcheuse tendance à planter lorsqu’on travaille sur des gros fichiers.

Du coup, pour les finitions j’utilise Photoshop. Ce logiciel me sert à mettre des filtres de couleurs pour donner une teinte générale à un paysage, je l’utilise aussi pour faire des effets de lumière, mais surtout il est indispensable pour passer l’image en CMJN pour l’impression (ce que Paint Tools SAI ne peut pas faire).

Pour la mise en couleur je préfère la tablette graphique aux outils traditionnels, cela m’offre une plus grande souplesse et surtout cela correspond plus au style de Patrick.

Que conseillerais-tu à ceux qui voudraient se lancer dans la BD ?

Je leur dirai de s’accrocher et surtout de ne pas se laisser abattre pas les coups durs. Il faut chercher à s’entraîner en continu en évitant au maximum d’avoir des périodes d’inactivité car on régresse très vite.

Il ne faut pas non plus hésiter à recopier car c’est comme ça qu’on apprend au départ.
On peut dessiner sans aller dans une école, il faut juste s’entraîner, mais il faut avouer que des cours peuvent vous permettre d’apprendre plus vite pour ne pas avoir à redécouvrir par vous-même des choses de bases.

Lorsqu’on bloque, il faut savoir se remettre en question sans abandonner pour pouvoir repartir sur des bases plus saines afin d’explorer d’autres pistes.

Cependant, lorsqu’on est trop énervé et qu’on n’y arrive plus, il faut trouver sa limite pour savoir quand faire une pause sinon on risque de se dégoûter du dessin.

Les limites qu’on a sont celles qu’on se fixe, alors bon courage à ceux qui veulent se lancer.

A présent que le premier tome est achevé comment te sens tu ?

Après toutes les galères que j’ai vécues ces dernières années, l’aboutissement de ce tome a été comme une renaissance personnelle. Je n’avais pas ressenti un tel bonheur de vivre depuis très longtemps, j’arrive enfin à me définir et à savoir où je vais, pour moi l’horizon s’est éclairci au moins pour les cinq prochaines années et c’est avec cet état d’esprit positif que j’ai commencé à travailler sur les planches du tome 2.

Merci d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et bonne continuation pour les tomes suivants.

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